Afrique

« Il est nécessaire de repenser la structure de l’appareil sécuritaire en Afrique »

Au moment où la question militaire est partout posée, comment Washington entend se positionner sur le continent. L’analyse de Mvemba Dizolélé, du CSIS.

Sans bruit, les États-Unis se positionnent, doucement mais sûrement ces dernières années, sur le continent africain. Ainsi, contrairement à la France qui, après le Mali et le Burkina Faso, a plié ses bagages au Niger cet hiver, l’Oncle Sam a décidé d’y maintenir ses troupes. Pourquoi ? Quels intérêts militaires les États-Unis possèdent-ils dans la sous-région ? Les armées locales sont-elles incapables de remédier à leurs propres situations sécuritaires ? Directeur du programme Afrique au Center for Strategic and International Studies (CSIS)* basé à Washington, Mvemba Dizolélé livre son analyse au Point Afrique, en marge d’une rencontre durant les Atlantic Dialogues organisés par le think tank Policy Center for the New South, au Maroc.

Le Point Afrique : Depuis août 2020, l’Afrique a connu plus de huit coups d’État, principalement dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Quelle grille d’analyse portent les autorités de Washington sur cette dynamique affectant la sous-région ?

Mvemba Dizolélé : Ils représentent en effet un défi. D’une part, Washington veut continuer ses partenariats avec les pays touchés. Cependant, il y a des lois aux États-Unis qui interdisent de nouer des collaborations avec des États qui ont subi des putschs. Aujourd’hui, il y a donc cette tension palpable au sein de l’administration américaine de savoir quoi faire, car elle a suspendu sa collaboration avec le Mali. La faiblesse des États-Unis est d’avoir toujours donné de l’ascendance aux Européens. Je veux dire par-là que les autorités américaines ne s’engagent pas assez avec les pays africains. Il passe toujours par Paris (pour la zone d’influence française), voire Bruxelles pour la RDC, et les Africains ne comprennent pas cette posture car ces derniers se considèrent comme souverains. On a donc des troïkas souvent composées des États-Unis et d’une ex-puissance coloniale qui traite un dossier concernant l’Afrique. Or, plusieurs pays issus du Sahel ont actuellement un problème avec la France. Donc, les États-Unis se demandent que faire avec ce challenge. Au Niger, on constate néanmoins une bifurcation par rapport à la position française puisque les États-Unis ont des intérêts supérieurs à ceux qu’ils entretiennent avec la France dans ce cadre précis.

En parlant du Niger justement, la France a été « forcée » de quitter le pays après un long bras de fer entre Paris et Niamey, et les États-Unis, par le biais d’un vote au Sénat en octobre dernier, ont décidé d’y maintenir leurs troupes. Pourquoi ?

Je pense que cette décision a été motivée par la Realpolitik. Comme je le disais tout à l’heure, les États-Unis sont confrontés à une situation qui les a poussés à se demander quoi faire. Démanteler les bases pour aller où ? En Algérie, au Tchad, etc. De plus, il y a une exception dans la loi américaine, la loi 7008, qui dit qu’en cas de forces majeures liées aux intérêts nationaux, le secrétaire d’État peut lever la loi si la situation l’exige.

De quels intérêts nationaux s’agit-il ?

C’est la sécurité. L’engagement américain en Afrique, comme l’engagement de partenaires européens sur le continent, est poussé par des intérêts nationaux. Dans ce contexte, l’intérêt de l’Oncle Sam est de protéger son territoire intérieur contre la menace terroriste. En d’autres termes, Washington veut arrêter les gens là-bas avant qu’ils ne perpétuent des actes terroristes sur le sol américain afin d’éviter un autre 11 Septembre potentiel.

Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, vient de terminer une tournée ouest-africaine. Quelles sont les raisons qui l’ont motivé à se déplacer dans cette région du continent ?

L’administration américaine s’intéresse de plus en plus fortement aux pays de la zone littorale tels que le Togo ou le Ghana, car elle estime qu’un effet domino est possible. Les pays du Sahel ont été affectés par la crise djihadiste et les autorités de Washington pensent que cette pression se pousse vers les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest.

D’autres pays de la sous-région, à l’instar du Nigeria qui a subi une attaque armée faisant plusieurs centaines de morts à l’intérieur de son territoire, font face à des niveaux de sécurité qui tendent à diminuer. Les forces armées locales sont-elles démunies ?

Face aux nouveaux types de menaces, les armées régulières, peu importe le type de moyen dont elles disposent comme les États-Unis, voire la France, ne sont pas équipées pour y faire face. Souvent, dans les interventions militaires, comme cela a été le cas en Afghanistan, voire en Irak, les besoins et les griefs des populations locales ne sont pas pris en compte. Or, on constate que les forces terroristes sont plus aptes à coopter ces griefs à leurs avantages par rapport à une armée régulière.

En parlant d’armée régulière capable d’affronter et de diminuer les menaces terroristes, vous avez mentionné par le passé que seule la Tanzanie disposait, pour la région d’Afrique centrale élargie, d’une armée professionnelle, républicaine et efficace. Est-ce toujours le cas pour la sous-région et l’Afrique de l’Ouest aujourd’hui ?

À quelques exceptions près, comme au Sénégal, il n’y a malheureusement pas de telles armées dans beaucoup de pays africains. C’est un problème qui touche à la nature même de l’armée qui, dans le contexte continental, date de l’époque coloniale. Celle-ci avait pour mission de mater les griefs et les révoltes des locaux contre la puissance coloniale, comme la force publique au Congo belge sous le roi Léopold. Le colonialiste arrivait et cooptait des tribus, une région, voire une religion, pour « diriger » le pays et exploiter le territoire au nom de la métropole et au détriment du développement d’un contrat social pour la population locale. Durant les indépendances, les armées ont certes changé de nom, mais pas de structure. Donc, le même groupe ethnique voire la même tribu maintenait le pouvoir au point que la population ne s’identifiait pas avec l’armée nationale, et vice versa. Dans ce contexte, il s’avère nécessaire de repenser la structure de l’appareil sécuritaire, comme la police, l’armée, voire les services de renseignements.

Comment ?

L’Afrique du Sud me paraît ici un bon exemple. Après le démantèlement de l’Apartheid, l’armée affiliée n’a pas été maintenue. Au contraire, celle-ci a été démantelée et complètement rebâtie avec un changement de tradition, de stratégie, de doctrine et d’éthique. En somme, une refonte totale qui permet aujourd’hui à ce pays de jouir d’une armée républicaine au service du peuple qui fonctionne dont le budget est connu et l’accès aux académies est très transparent.

Source: Le Point

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